En remarquant l’autre jour un tag représentant le symbole de mise à terre (⏚) repris comme logo des Soulèvements de la Terre, je me suis demandé si la dissolution du mouvement par décret du président Emmanuel Macron impliquait l’interdiction du symbole associé. L’absence de structure juridique des Soulèvements (il ne s’agit pas d’une association) reporte l’application de sanctions pénales sur une appartenance supposée et non déclarée, donc potentiellement sur cette page, puisque le symbole est présent. Bon, en pratique le Conseil d’État a annulé la dissolution il y a tout juste un an, donc le risque est faible.
Mon interrogation s’appuyait sur le traitement d’un autre symbole, et vous me pardonnerez le parallèle, qui porte spécifiquement sur l’aspect juridique et pas sur une comparaison des idéologies sous-jacentes. Le motif de la croix gammée de l’Allemagne nazie est essentiellement le même que celui du svastika indien. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, il a pu apparaitre en héraldique, sur des frises et dans divers logos. Dès les années 1930, cette croix devient un marqueur du régime hitlérien et son usage est progressivement abandonné hors de ce contexte. Après la guerre, sa représentation devient même illégale en Allemagne, sauf sur des images historiques, y compris pour un détournement (dans un panneau d’interdiction par exemple). La législation est revenue sur ce dernier point en 2007.
Or la puissance du symbole tient non pas dans sa forme mais dans l’idée qu’il évoque pour ceux qui le perçoivent. Comme le svastika apparait dans le standard Unicode (sans ambiguïté, parmi les caractères du chinois et du tibétain), le codage numérique de ces symboles constitue en soi des nouveaux symboles, certes non graphiques mais reproductibles et identifiables.
La définition du statut de ces codes rappelle la controverse sur les nombres premiers illégaux : la représentation binaire de ces nombres encode des programmes informatiques contournant des droits numériques, par exemple associés à la protection des DVD. Mais il s’agit là d’un problème d’information, car le nombre proprement dit est inutile une fois que le programme est récupéré, alors que le symbole est déjà connu de ceux qui l’utilisent.
Un symbole interdit peut être rapidement remplacé par une variante, de façon analogue aux déformations de jurons à l’oral comme à l’écrit où des astérisques effacent certaines lettres comme dans le f*** anglais. En Russie, des manifestants ont été inquiétés pour avoir porté une pancarte avec les seuls caractères *** *****
(sous-entendu Нет войны, « Non à la guerre »).
Sorties
Je n’étais jamais allé au cimetière du Père Lachaise, et à l’occasion d’un dimanche matin d’automne à Paris me voici déambulant dans les allées tranquilles de ce lieu mythique. En deux heures de temps j’ai à peine parcouru un quart du plan, versé une larme sur la minuscule parcelle végétale qui commémore Pierre Desproges, longé des concessions perpétuelles imposantes et même ri des juxtapositions de noms parfois cocasses.
Au Centre Pompidou, l’exposition Surréalisme rassemblait de nombreuses œuvres impressionnantes, notamment en sculpture. J’ai bien aimé aussi les mises en contexte historique en particulier sur les relations du mouvement avec les évènements politiques.
Bruno Liljefors – La Suède sauvage présentait des peintures animalières assez intéressantes au Petit Palais. L’effort de représentation dans les actions de subsistance des prédateurs rappelle les choix similaires d’Audubon.
La Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterets célèbre une certaine idée du français, certes façonné par ses interactions avec d’autres langues, avec force installations audio-visuelles, mais en laissant bien peu de place à la controverse scientifique. Même l’ordonnance de 1539 est à peine évoquée, sous une forme qui assoit la version d’une langue hégémonique, là où le texte original insiste sur la nécessité de réinvestir la langue effectivement parlée (donc plus locale).
Spectacles
À Pôle Sud, Fanny de Chaillé nous propose Une autre histoire du théâtre, moins dans la performance corporelle que dans un florilège de reconstructions de grands noms du théâtre dans des scènes connues, interviews et captations surtout. Les comédiens sont bluffants et la mise en scène estr très réussie.
Dans Requin velours au TAPS, Gaëlle Axelbrun raconte une jeune femme devenue travailleuse du sexe et ses efforts pour obtenir justice. J’ai particulièrement apprécié le jeu des trois comédiennes : Mécistée Rhea, Cécile Mourier et Amandine Grousson.
Au Maillon, Antoine Defoort nous convie à une pseudo-conférence sous le titre Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative. Ce n’est pas vraiment bouleversant sur le plan scientifique mais on passe un bon moment, à imaginer les petites idées confectionner leur vaisseau spatial dans des fauteuils chelous.
Toujours au Maillon, Victoria Thierrée Chaplin nous emporte dans un spectacle d’illusions et quasi-muet (héritage familial ?) avec Bells and Spells. Aurélia Thierrée incarne une kleptomane mais les objets se rebiffent. On aurait aimé un peu plus de profondeur narrative, mais c’était tout à fait plaisant.
Au TAPS, Gilles Granouillet conte l’histoire de Mélody et le Capitaine. La rencontre d’une jeune fille et de son grand-père sur le bateau de celui-ci nous offre plein de bons sentiments, avec l’intention louable de porter la question des migrations humaines, mais sans apporter beaucoup plus qu’un happy end.
Littérature
Science
James Vincent explore l’histoire de la mesure des grandeurs dans Beyond Measure. Le temps, les distances, la température, mais aussi le QI et d’autres statistiques humaines ne sont pas seulement le produit de techniques de constitution de données, ils participent de la politique territoriale, de l’identité nationale et de notre rapport au monde. Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment dans le domaine de la physique (déformations relativistes, incertitude de Heisenberg, superposition quantique…) mais ce panorama déjà très riche et très lisible se lit avec plaisir.
Roman
Léo Henry et Jacques Mucchielli juxtaposent dans Yama Loka Terminus une série de mini-nouvelles dans un même pays dystopique. Quelques échos de loin en loin attirent l’attention, mais le pessimisme délibéré me lasse assez vite.
Théâtre
Dans le théâtre de Wajdi Mouawad, mon texte préféré reste Tous des oiseaux, que j’ai eu la chance de voir sur scène dans un patchwork de langues. La version éditée est monolingue, mais conserve une force vibrante. On y frémit pour Ethan et Wahida, dans un entrelacs familial qui traduit la douleur du conflit israélo-palestinien.
Le Village des sourds de Léonore Confino imagine une tribu nordique qui renonce petit à petit à son langage pour succomber aux sirènes du consumérisme. La fable est réjouissante et bien écrite. Dans le même recueil et avec la même réussite, L’Effet miroir revisite le traditionnel repas entre deux couples qui se défont, cette fois à propos de l’interprétation d’un conte.
Amine Adjina découd aussi un environnement familial tendu dans Théorème – Je me sens un cœur à aimer toute la terre en référence explicite à Pier Paolo Pasolini et au Dom Juan de Molière. C’est un peu facile de penser que le sexe répond à tous les problèmes, mais la langue est assez poétique.
Les Cerfs noirs d’Inga Abele nous transportent dans la campagne lettone. La violence rurale et un peu exotique est intéressante, mais la traduction n’est pas très fluide.
Avec Se taire tue, parler aussi, pas les mêmes, Julie Abécassis pose le sujet bien légitime de la violence sexuelle, mais la construction narrative est un peu brinquebalante.
Bande dessinée et récits graphiques
Évidemment, il fallait que Fabrice Erre s’empare de l’un des tomes de l’Histoire dessinée de la France ! Le Printemps du peuple avec Claire Fredj est remarquablement bien structuré, rendant limpide cette époque pourtant confuse (surtout dans mon esprit).
L’Éveil de Vincent Zabus précipite un homme un peu perdu dans le projet artistico-hallucinatoire d’une jeune femme. Qui croire ? Que faire ? Aller de l’avant, tout simplement.
Du même auteur avec Hippolyte, Incroyable ! pourrait s’exclamer le narrateur Jean-Loup, un enfant avec des TOC affronte ses peurs pour aller présenter un exposé ou voir le roi des Belges.
Un héritage trompeur est un nouvel épisode de la série Donjon Monsters, dessiné par Bertrand Gatignol. L’affrontement entre Papsukal et Blaise Pilozzi semble indiquer que la fin du Donjon n’a pas tout résolu.
Lida Larina relate dans Kolya le quotidien d’un déficient mental dans son immeuble au fil des saisons. Ce pourrait être une histoire sans paroles, tant les mots semblent décalés par rapport au ressenti.
Ab irato est un récit en trois tomes de Tierry Labrosse, dans lequel un méchant très méchant cherche à détruire des gentils, parmi lesquels se trouve une femme muette mais très très forte, qui peut briser du verre en criant, ressouder se membres coupés, guérir des maladies mortelles avec son sang et j’en passe. Les super-héros de superproductions hollywoodiennes semblent presque relever de la philosophie en comparaison.