Les habitués de cette revue culturelle auront remarqué ma manie de construire des listes. Cela m’a donné l’envie de faire une liste de listes. Cet inventaire à la Prévert peut bien commencer par ce poème éponyme issu du recueil Paroles. Paul Éluard parcourt également un grand nombre de lieux où il écrit Liberté. Bien entendu, les comptinent recourent abondamment à ce genre de procédé, comme Ah, tu sortiras, biquette, biquette ou Loup, y es-tu ?.
En musique, Rockollection de Laurent Voulzy échantillonne des tubes au fil des couplets, tandis que Georges Brassens revisite quelques chansons populaires dans la Route aux 4 chansons. La chanson Je n’suis pas bien portant de Gaston Ouvrard, comme ses multiples avatars, a marqué la variété française par son accumulation de déboires.
Rabelais en met dans la généalogie de Gargantua, évoquant ainsi des lignées semblables du Livre de la Genèse. Dans Le Pendule de Foucault, Umberto Eco énumère tous les anagrammes parmi lesquels est censé se trouver le nom de Dieu. La présentation des armées est un autre prétexte classique, comme dans le chant II de l’Iliade de Homère, les surenchères de mets dans Salaambo de Flaubert ou Le Soleil des Scorta de Laurent Gaudé. La liste est même l’objet d’une nouvelle de Jorge Luis Borges, La Bibliothèque de Babel contenant tous les livres possibles de 410 pages à raison de 40 lignes de 80 caractères par page.
En bande dessinée, Guillaume Long réalise plusieurs listes en images dans À boire et à manger, comme le miniguide pour reconnaitre le poisson quand il a pas la forme du poisson
, tandis que dans le Chat à Malibu Philippe Geluck illustre des usages de verbes en français qui permettent d’entendre des noms de fruits et de légumes, tout en costumant son personnage dans les couleurs correspondantes.
Au cinéma, je pense notamment au Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, où les principaux personnages sont minutieusement décrits avec ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas.
Visites
La cathédrale d’Aix-la-Chapelle est célèbre pour avoir été construite à l’instigation de Charlemagne qui y est inhumé. À l’intérieur, j’ai surtout apprécié les magnifiques mosaïques aux murs et plafonds, notamment un pélican qui donne son sang pour ses petits comme celui d’Arbois.
Les pierres de Jelling sont des monolithes gravés de runes et de quelques figures, notamment un personnage pouvant représenter le Christ ou un ancien dieu nordique. Certains ont même cru y voir le portrait d’Harald à la dent bleue, qui a érigé la première des deux pierres, imposé le christianisme au Danemark et, beaucoup plus récemment, inspiré les créateurs de la technologie Bluetooth. Le site est également pourvu de deux monticules s’insérant dans un complexe funéraire aujourd’hui recouvert d’un très joli cimetière. Le musée attenant est plutôt bien fait.
À Copenhague, la Glyptothèque est un très beau musée, essentiellement de sculptures, dont une section sur Carpeaux et plusieurs marbres de Rodin ainsi qu’une remarquable section égyptienne. Une exposition sur Kai Nielsen, à l’occasion du centenaire de sa mort, m’a permis de découvrir ce sculpteur Danois prolifique avec une attention particulière à l’effet du choix de matière sur les reproductions de ses œuvres.
Le Musée des bateaux vikings suit le double objectif : préserver et expliciter le passé d’une part, à partir notamment d’embarcations sabordés retrouvés dans le fjord et d’une archéologie expérimentale qui travaille à comprendre leur structure et leur fabrication en tentant de les réaliser à nouveau ; maintenir et faire évoluer un savoir-faire artisanal de la construction de bateaux d’autre part, avec un usage de matériaux naturels et une maitrise des processus. La petite sortie en bateau, alternant rame et voile, était bien plaisante.
Christiania est un quartier libertaire de Copenhague, plus ou moins indépendant de la couronne danoise. L’ambiance baba cool y est bien agréable, les efforts des habitants ont plutôt réussi pour enrayer la violence des gangs du narcotrafic.
Le musée national du Danemark a un fonds très intéressant sur la période préhistorique et antique, puis saute quasiment sans transition à la société christianisée. La muséographie s’essouffle au fur et à mesure qu’on monte dans les étages (et qu’on se rapproche du temps présent).
Un peu plus au nord, le château de Kronborg est censé être la toile de fond de Hamlet. Si Shakespeare lui-même n’a pas forcément visité les lieux, des membres de sa troupe ont effectivement pu alimenter l’œuvre par leur vécu sur place, notamment avec les banquets de la cour de Frédéric II. La salle du trône et les toits sont assez impressionnants.
Goslar est une petite ville du centre de l’Allemagne, au bord du parc national du Harz. Son architecture est remarquable, avec ses maisons particulières souvent décorées et rehaussées de couleurs ou plaquées d’ardoise, mais aussi avec ses multiples bâtiments religieux (47 églises ?), son palais impérial, la place du marché… et de nombreuses sculptures.
Dans les Vosges alsaciennes, le parc de Wesserling recouvre des terrasses de styles variés ouvertes à la création contemporaine (cet été, sur les fables de La Fontaine), un potager associé à une association de maraichage pour l’insertion, un château comprenant un musée sur l’impression des indiennes ainsi que plusieurs autres bâtiments du patrimoine industriel.
Spectacles
Derrière ce titre improbable, Les gros patinent bien est un duo jubilatoire d’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois décrivant l’épopée d’un Américain qui traverse l’Europe de l’Islande à l’Espagne dans un décor de cartons, à la recherche d’une sirène qui a ravi son cœur. Chaque objet, animal ou paysage n’est ainsi figuré que par son nom en majuscules sur fond marron kraft, et animé par un compère survolté. La performance s’est insérée avec brio dans les murs du Théâtre du Peuple, avec une vue imprenable sur la forêt.
Également au Théâtre du Peuple, Julie de Lille mettait en scène Conte d’hiver de Shakespeare, sur une traduction de Koltès. L’interprétation était plutôt convaincante et la scénographie sobre et soignée, mais le choix d’espacer chaque phrase d’une à plusieurs secondes, y compris à l’intérieur des répliques, rendait le spectacle très pesant. Certes, ce choix pouvait appuyer la manifestation de folie de ce roi Léontes jaloux qui fait fuir son frère et condamne sa femme, mais sur plus de trois heures de spectacles, la perte de rythme est vraiment dommageable.
Films et série
Nous avons revu avec plaisir Boyhood de Richard Linklater, dans lequel le jeune Mason grandit avec son interprète Ellar Coltrane au long des 12 années de tournage. Ce n’est pas un film d’action, ni de suspense ou d’amour, juste un film sur l’enfance et la maturité, la perspective des choix de vie, qui mérite amplement ses récompenses.
La quatrième saison de Borgen : le pouvoir et la gloire d’Adam Price nous fait retrouver Birgitte Nyborg (Sidse Babett Knudsen) et Katrine Fønsmark (Birgitte Hjort Sørensen) dans des positions professionnellement délicates, sur fond de crise écologique et géopolitique suite à la découverte d’un gisement de pétrole au Groenland. Et si la première des deux femmes, devenue ministre des affaires étrangères, s’en sort à force de renoncements, la seconde est perpétuellement dans l’erreur, l’autoritarisme grossier et la faiblesse intellectuelle à son nouveau poste de directrice de l’information. La décrédibilisation de ces deux rôles féminins, pourtant très positifs dans les trois saisons précédentes, m’intrigue un peu sur l’objectif des scénaristes, qui ne semblent pas offrir d’autre échappatoire que l’abandon. La réalisation est très satisfaisante (sauf peut-être le dernier épisode qui semble bâcler le dénouement) mais le parti pris idéologique est discutable.
Je n’attendais pas du grand art dans Men In Black III de Barry Sonnenfeld mais cet opus reste dans la ligne scénaristique des deux précédents, avec un gros méchant et de multiples créatures plus ou moins humanoïdes. Le retour dans le temps n’est pas tellement plus déluré que le reste.
J’ai bien aimé l’esthétique de l’adaptation V pour Vendetta par James McTeigue à partir de la bande dessinée du même nom. Le jeu des acteurs est globalement bon, notamment celui Stephen Rea qui incarne l’inspecteur Finch. Le scénario ne parvient cependant pas à donner un sens à l’incarcération d’Evey Diammond (Nathalie Portmann).
Littérature
Théâtre
Le Rhinocéros d’Eugène Ionesco décrit la transformation des individus en pachydermes cornus (à la peau verte), notamment en cas de désarroi psychologique. Il s’agit moins d’un théâtre de l’absurde qu’une fable sur le remplacement bien réel de la pensée humaine par le discours de haine.
Bande dessinée et récits graphiques
Nellie Bly, dans l’antre de la folie retrace l’internement en asile de cette journaliste d’investigation de la fin du XIXe siècle, qui feint la démence pour observer et exopser les conditions de vie des femmes dans une institution newyorkaise. L’histoire est édifiante et très bien rendue par le dessin de Carole Maurel jouant entre l’ombre et la vigueur, sur un scénario bien pensé de Virginie Ollagnier-Jouvray.
L’Environnement toxique dont il est question dans cette bande dessinée de Kate Beaton est finalement moins dans l’exploitation des sables bitumineux du Canada que dans l’atmosphère viriliste qui a cours chez ces ouvriers loin de leur famille et au quotidient presque exclusivement masculin. Le dessin manque un peu de style et le découpage en tranches du récit aurait gagné à suivre une narration plus soutenue, mais on reste pris par l’observation fine de ces personnages engoncés dans leur conditions.
Thimothé Le Boucher ouvre le premier tome d’un long récit fantastique avec 47 cordes, dénombrant les épreuves que va devoir accomplir un jeune harpiste sous la coupe d’une métamorphe amoureuse. J’aime le trait très propre qui tranche avec le sordide des créatures démoniaques et leurs lubies.
À travers de Tom Haugomat déroule très simplement la vie d’un homme par des dessins sans texte reproduisant en page de droite clichés, écrans ou vues diverses correspondant à ce que voit un personnage de la page de gauche. La poésie tranquille de ces images parvient à rendre les drames et les joies qui émaillent une vie.
L’Échelle de Richter de Luc Desportes et Raphaël Frydman fait peut-être référence aux cercles d’intensité décroissante au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’épicentre d’un séisme, ici sans doute figuré par la mort d’une jeune femme dans une chambre d’hôtel. Les personnages bien campés qui gravitent autour de ce crime donnent une belle épaisseur à ce récit graphique, porté par un dessin sec mais efficace et un scénario bien construit.
Naduah, de Séverine Vidal et Vincent Sorel, raconte la vie d’une jeune femme enlevée enfant au cours d’un raid comanche, élevée et mariée au sein de la tribu, puis arrachée à nouveau à son entourage par les Texans qui espèrent ainsi la délivrer. L’histoire réelle est adroitement développée à l’aide d’un personnage fictif de jeune fille qui soutient Naduah en dépit des idées de son entourage.
Rebis est le nom que prend un enfant albinos qui trouve refuge auprès d’une sorcière. Le dessin de Carlotta Dicataldo est réjouissant et le scénario d’Irène Marchesini commence bien mais s’achève un peu au milieu du gué. Sans suite, ce récit risque d’être un peu décevant.
Chloé Cruchaudet déroule la vie d’Ida, jeune femme bourgeoise qui va tromper son ennui en explorant l’Afrique en souvenir de son enchantement à l’Exposition universelle. Le culot et la résistance de l’héroïne sont ravigorants, même si je n’accroche pas plus que ça au dessin.
Halifax mon chagrin est un polar dessiné de Didier Quella-Guyot et Pascal Regnauld sur les participants à une mission de récupération des victimes du Titanic, qu’un mystérieux assassin semble éliminer un à un. Le dessin à la serpe et les tons bleus sert bien un scénario pas extraordinaire mais s’appuyant sur plusieurs catastrophes bien réelles associée à la ville canadienne éponyme.
Trompe-la-mort d’Alexandre Clérisse présente un grand-père à la recherche de son clairon perdu pendant la guerre. Le contexte est allégé par un graphisme rond et coloré, mais le scénario ne va pas très loin.
L’Apocalypse selon Magda de Chloé Vollmer-Lo est d’emblée exclue : les premières pages montrent qu’elle n’aura pas lieu. Les causes du désastre attendu ne sont d’ailleurs pas vraiment détaillées, ce qui dispense l’autrice de mettre en scène la réflexion sur les moyens de l’éviter, car tout ce qu’on sait c’est qu’elle est inévitable. La réaction de la société est assez irrationnelle, avec un maintien des cours en classe par exemple « pour assurer l’avenir ». Les réactions de la jeune adolescente éponyme sont un peu plus vraisemblables mais le groupe insouciant qui la recueille a la vie un peu facile pour une fin du monde.
Humour
J’ai trouvé deux albums de Voutch que je n’avais pas encore lus : Les Joies du monde moderne et Tout se mérite, avec toujours cet humour glacé de couples flegmatiques et ces ambiances colorées qui sont à elles seules des petits bijoux.
Marc Dubuisson nous gâte avec un deuxième volume d’Ab absurdo, ses grandes gueules rondes et son regard tranchant sur l’actualité.
Non-fiction
A Hacker’s Mind est un essai de Bruce Schneier sur la notion de hacking au sens large, c’est-à-dire une perversion des règles exploitée par les plus puissants à leur profit, qu’il s’agisse du sport, du droit ou de la finance, entre autres. Le propos est intéressant et instructif mais les exemples se juxtaposent sans que j’aie perçu une progression de la réflexion au fil du livre.
Jeu
Unicornus Knights est un jeu coopératif dans lequel chacun incarne un chevalier au service de la princesse Cornelia. Il s’agit de ralentir un peu cette tête brûlée qui part combattre le méchant empereur et préparer le terrain en combattant les ennemis sur le passage. Le principe est amusant au départ mais le déroulement est trop long à mon gout, surtout que les actions sont assez répétitives même si les pouvoirs des chevaliers amis ou ennemis sont assez variés.