Revue culturelle de

Dans son premier spectacle, Pierre Desproges évoquait la mort de Georges Brassens en disant qu’il avait pleuré comme un môme. Il m’est aussi arrivé de ressentir intimement une perte par la disparition de certaines figures publiques, même si les larmes ne me sont pas forcément venues à chaque fois.

Paradoxalement, la première fois que cela m’est arrivé (en dehors bien sûr de la sphère privée de la famille et des amis proches), je ne connaissais même pas la personne en question. Une revue pour enfants (peut-être Okapi) signalait la mort d’Isaac Asimov, en promettant des univers de science fiction à découvrir pour ses futurs lecteurs, et j’allais de fait bientôt parcourir un certain nombre de ses romans et nouvelles. Puis ce fut le tour de Claude Nougaro, dont j’avais déjà certaines chansons dans l’oreille et dont le répertoire de jazz m’accompagne toujours.

Les attentats de janvier 2015 nous ont privé (entre autres grands noms du dessin d’humour) de la verve de Bernard Maris, que j’écoutais démonter avec bonhomie les raccourcis idéologiques de son interlocuteur sur France Inter. De même, j’avais la sensation d’un immense gâchis quand un accident d’hélicoptère a couté la vie à la navigatrice Florence Arthaud parmi une dizaine de personnes lors d’un tournage pour un jeu télévisé.

C’était une page qui se tourne lorsque Gotlib nous a quitté à son tour. Biberonné à la Rubrique à brac, je l’ai imaginé rejoindre Isaac Newton avec beaucoup de coccinelles. Une part de ma jeunesse s’en est allée également avec Dolores O'Riordan, chanteuse des Cranberries.

Mon émotion m’a pris par surprise lors de la disparition d’Umberto Eco. Certes, j’avais adoré son Pendule de Foucault, mais j’associais aussi son nom au fantastique champ de réflexion que m’avait ouvert le mot « sémiologie ».

Plus récemment, j’étais presque en colère contre le covid, si tant est que cela puisse avoir un sens, de nous avoir volé John Conway, mathématicien génial et engagé dans une approche ludique. La même année, nous perdions aussi Anne Sylvestre, dont ma grand-mère me chantait certains airs quand j’étais enfant et que je chante à mon tour aujourd’hui.

Je ne considère pas que les personnes citées ci-dessus soient fondamentalement plus importantes que bien d’autres qui mériteraient aussi des hommages appuyés. Mais lorsque je me retourne sur mon histoire personnelle, je dois reconnaitre que ces disparitions ont posé des jalons dans ma vie.

Visite

Nous sommes retournés à la très belle Bibliothèque humaniste de Sélestat. Récemment rénovée, elle abrite de nombreux documents anciens dont des incunables et les ouvrages collectés par l’éditeur Beatus Rhenanus, ami d’Érasme.

Spectacles

Au Théâtre national de Strasbourg, La Tendresse est un spectacle des plus réjouissants que j’aie vus ces dernières années, à la fois drôle, musical, chorégraphique et porteur d’une réflexion pas si fréquente sur la masculinité, ses biais et ses écueils. Le rapport au corps, l’ascendant sur le ou la partenaire, l’injonction sociale sont décortiquées dans la bouche de jeunes hommes et une femme. J’espère suivre le travail de l’autrice et metteure en scène Julie Berès, comme celui de ses comédiens, dont l’époustouflant Bboy Junior en breakdance.

Dans un genre assez différent, Le Jardin des délices transforme la scène du Maillon en un paysage de désert américain, presque lunaire, avec un bus blanc et un œuf géant. Philippe Quesne nous régale ainsi d’une virée onirique inspirée par l’œuvre de Jérôme Bosch, musicale et polyglotte, mais dont la langue cherche moins à informer qu’articuler les émotions et les relations entre les protagonistes.

En allant voir Fin de partie de Beckett, je ne m’attendais pas vraiment à m’amuser. La mise en scène donnée au TAPS par Laurent Fréchuret du Théâtre de l’Incendie concrétise cependant assez efficacement l’absurde et le comique du texte, sans lisser pour autant le caractère grinçant de la situation.

Au TAPS également, j’étais impatient de voir 1972 de et avec Fred Cacheux, que j’avais beaucoup apprécié l’année dernière. Le sujet m’intéressait aussi, sur le rapport Meadows et l’urgence écologique. Las ! Après un sketch initial en anglais et un abattement du quatrième mur au point de mettre la quasi-totalité du public sur scène pour se prononcer sur des questions mal formulées, les deux comédiens ne font rien des réponses obtenues, lisent ou projettent des extraits de textes en abandonnant presque toute prétention de jeu.

Littérature

Roman

Fabrice Caro nous conte les réflexions d’un parent anti-héros dans Broadway, assez drôle malgré un désespoir latent.

Théâtre

Décidément, je reste conquis par le théâtre de Wajdi Mouawad, comme avec La Racine carrée du verbe être. Le titre m’interpelle évidemment comme mathématicien, mais les quelques paragraphes qui s’aventurent dans le discours scientifique m’emballent moins que le travail d’uchronie personnelle.

Deux monologues de femmes fortes se répondent avec Médée Kali puis Sodome, ma douce de Laurent Gaudé. Le premier texte fusionne la sorcière méditerranéenne et la déesse hindoue en un personnage inquiétant et tragique universel. Mais j’ai surtout apprécié le deuxième texte qui met à l’honneur une anonyme, témoin (vivant ?) de l’annihilation des cités bibliques.

Bande dessinée et récits graphiques

Grégory Panaccione adapte le roman de Cyril Massarotto dans Quelqu’un à qui parler. Un homme seul tombe sur lui-même enfant au téléphone et reprend le contrôle de sa vie. Le résultat est très plaisant.

J’ai été séduit par l’apparence un peu brouillonne du manga My Broken Mariko de Waka Hirako. Une jeune fille apprend le décès de son amie et veut en sauver les cendres de l’environnement toxique dans lequel elle vivait.

Patrick Chappatte illustre l’urgence médicale de l’épidémie de covid-19 dans Au cœur de la vague. La présentation de la réalité concrète de l’hôpital et de ceux et celles qui y travaillent est précieuse et paradoxalement rassurante.

Motor Girl de Terry Moore décrit Samantha, une jeune femme vétérane de guerre et en charge d’une casse automobile, assistée par un gorille. Les personnages sont bien campés et avec humour.

L’Intelligence artificielle de Julie Lardon et Agathe Robinson-Deroo propose un tour d’horizon de cette notion qui fait tant parler d’elle. Le tout est assez didactique sans plus.

Astra Nova de Lisa Blumen raconte les derniers préparatifs d’une candidate à l’exploration spatiale en solo. Je n’accroche pas vraiment au dessin, et l’histoire est un peu maigre (surtout en comparaison de Soon sur le même thème).

Jeux

Une nouvelle semaine de jeux m’a permis de découvrir de nouvelles boites !

La palme revient à Welcome to the Moon d’Alexis Allard et Benoît Turpin. Il s’agit d’un flip and write, c’est-à-dire que chaque joueur dispose d’un plateau où il est le seul à écrire ses choix en fonction des tirages de cartes communs à tous. L’interaction entre les joueurs se limite donc à quelques points donnés au premier à remplir certaines cases. Mais la diversité des plateaux et la structuration en campagnes est un atout majeur.

L’extension Wingspan Asie (Elizabeth Hargrave) complète un jeu déjà excellent avec près d’une centaine de nouvelles cartes oiseaux dont certaines ont un nouveau pouvoir en fin de partie. Elle apporte aussi un système de rotation des tours avec six à sept joueurs en divisant par deux le temps de jeu. Enfin, l’extension seule peut être utilisée comme jeu à deux avec un plateau d’objectifs supplémentaires qui dynamisent le début de partie.

The Game (Steffen Benndorf) est très simple dans sa constitution : une centaine de cartes numérotées de 2 à 99, qu’il faut répartir sur deux piles ascendantes et deux piles descendantes, en tirant deux cartes de sa main à chaque tour. Mais il est possible de revenir en arrière sur chaque pile avec un écart de 10 exactement. La mécanique est aussi intéressante en solo qu’à plusieurs.

Five Tribes de Bruno Cathala consiste à éliminer progressivement les divers pions d’un plateau pour appliquer leurs pouvoirs et prendre possession de cases qui rapportent des points. Les mouvements des pions rappellent ceux de l’awele et le décompte des points est assez linéaire (pas d’incitation à la concentration ou à l’étalement de la stratégie) en dehors d’un bonus important à la précédence en vizirs (les pions jaunes).

Les systèmes roll and write s’enrichissent avec Trek Amazonie de Bruno Cathala encore et Corentin Lebrat. À chaque lancer de deux dés, chaque joueur choisit une opération élémentaire (max, min, +, −, ×) et inscrit le résultat dans l’une des cases de son plateau en essayant de former des chaines de chiffres consécutifs et des zones de chiffres identiques. Le jeu s’arrête lorsque chaque opération a été utilisée quatre fois, et divers bonus et contraintes s’ajoutent au fur et à mesure que l’on progresse sur les différents terrains. C’est un petit jeu rapide mais combinatoirement intéressant.

TTMC (Tu te mets combien ?) est un jeu de quiz dans lequel les joueurs choisissent en fonction du thème proposé le niveau de difficulté de chaque question à laquelle ils vont répondre. Il y a une bonne diversité de thèmes, mais les seuils de difficulté ne semblent pas vraiment homogènes de l’un à l’autre. En outre, certains gages des cases noires sont inutilement excluants.

Phraya (Alberto Millán) met en concurrence divers marchands en bateau qui peuvent acheter et vendre des denrées en jouant sur le cours de leur valeur et faire des offrandes au roi ou à Bouddha. Le plateau est physiquement large mais combinatoirement assez serré, donc les joueurs peuvent volontairement ou non se gêner les uns les autres. Le décompte de points semble favoriser les stratégies d’offrandes par rapport au commerce pur.

Dans 13 mots (Romain Loussert) est un coopératif rapide et pas stratégique mais convivial dans lequel chacun choisit à tour de rôle une association entre le mot central et l’un des 12 périphériques et tous ceux qui sont d’accord avec lui marquent un point.

Little Secret (Ben & JB) est un jeu d’élimination dans lequel certains joueurs connaissent un mot de passe et se contrôlent en donnant des mots associés. Les intrus tentent de deviner le mot de passe avant de se faire éliminer. L’idée est intéressante mais la mise en place est un peu fastidieuse par rapport au temps de jeu sur les mots (je dois reconnaitre que je ne suis pas grand amateur de jeu d’élimination).

La big box d’Alhambra (Henn, Panning, Hartwig) contient 6 extensions en plus du jeu de base, qui consiste à acheter des tuiles pour constituer son propre palais. La mécanique est un peu pauvre à mon gout et la rotation rapide des tuiles offertes ne permet pas vraiment d’élaborer une stratégie d’un tour à l’autre.