Revue culturelle d’octobre 2022

Dans Fabliaux et contes du Moyen Âge que j’avais étudié en classe de 5e, on trouve l’histoire de deux hommes à qui saint Martin propose d’offrir ce qu’il souhaite au premier des deux qui le lui demandera, et le double à l’autre. Le plus cupide pousse l’autre à parler d’abord, dans l’espoir d’avoir plus, mais ce dernier, envieux, refuse que son vœu mène l’autre à obtenir davantage et finit par demander à perdre un œil. Un tel raisonnement est digne des stupides selon la classification de Carlo Cipolla dans Les Lois fondamentales de la stupidité humaine (joliment illustrées par Claude Ponti). Face à cette proposition, j’aurais plutôt tendance à demander simplement quelque chose qui me plait, mais c’est un comportement plus facile à assumer lorsqu’on n’a pas d’ennemi.
Y a-t-il moyen d’agir en bandit (c’est-à-dire en tirer un bénéfice tout en faisant perdre l’autre) face à l’offre du bon génie, euh, de saint Martin ? Voici quelques idées : être repus, avoir un œil par orbite, avoir 0,9 grammes de sucre par litre de sang, avoir vécu la moitié de sa vie, avoir une demi-masse critique de plutonium (seulement si le cupide est assez loin)…

Spectacles

L’année culturelle commence bien avec Until the Lions, opéra de Thierry Pécou richement chorégraphié par Shobana Jeyasingh et dirigé par Marie Jacquot à l’Opéra national du Rhin. L’histoire retrace un fragment de l’épopée indienne du Mahabharata mais fait le choix mettre en exergue les personnages féminins. Nous avons d’ailleurs pu apprécier le talent vocal de Noa Frenkel, dont la partition oscille entre voix parlée et voix chantée avec un bel ambitus. Son personnage, Amba, est enlevée avec ses deux sœurs par le héros Bhishma pour être mariée au nouveau roi de Hastinapura, mais obtient de revenir chez elle. Rejetée dans son propre pays, elle retourne à Hastinapura pour demander à son ravisseur de l’épouser. Or ce dernier a promis aux dieux de ne jamais prendre femme.

C’est la deuxième fois que j’assiste à un spectacle de Mathieu Bauer avec Donnez-moi une raison de vous croire au Théâtre national de Strasbourg. Comme dans l’extraordinaire DJ Set sur écoute, la musique est centrale dans la mise en scène et met bien en valeur les compétences des jeunes comédiens issus de la 45e promotion de l’école du TNS, qui signent ainsi leur entrée dans la carrière professionnelle. Les textes qui ont structuré la pièce sont issus de plusieurs œuvres, en particulier L’Amérique de Kafka. Mais l’imbroglio administratif est ici plus drôle qu’oppressant et rappelle en sous-texte que dans le théâtre, le rôle que l’on prend n’est pas toujours celui auquel on s’attend.

Science

J’ai découvert la collection La Petite Bédéthèque des savoirs avec Internet de Jean-Noël Lafargue et Mathieu Burniat. Le livre explique avec clarté et humour le fonctionnement structurel du réseau en prenant comme point de départ la mésaventure véritable d’une Géorgienne qui prive sans le savoir tout un pays d’accès au réseau parce qu’elle a sectionné un câble de communication souterrain.

Mathieu Houdart donne une version papier de son spectacle avec Very Math Trip qui vulgarise des phénomènes mathématiques plus ou moins étonnants pour le grand public.

Littérature

Romans

J’ai beaucoup aimé Aké, les années d’enfance de Wole Soyinka, qui était au programme des CPGE scientifiques l’année dernière. L’auteur parvient à rendre la perception sans fard de l’enfant qu’il était, ses relations avec ses parents et les autres enfants ou adultes qui traversaient la concession.

Dans La Jeune Épouse, Alessandro Barrico déroule une histoire parfois surréaliste qui met en scène à la fois l’auteur et son roman avec des frontières perméables autour d’une jeune femme abandonnée dans sa belle-famille avec une galerie de personnages aux trajectoires météoriques. J’ai beaucoup moins accroché que sur Soie et surtout Novecento.

Bande dessinée et récits graphiques

Mais qu’arrive-t-il au Prince des ténèbres dans Satanisme et écoresponsabilité ? Loïc Sécheresse s’amuse à parcourir les thématiques écologiques du point de vue des Enfers, en butte à la technopolice et trouvant des alliés dans les activistes, les métalleux, une secte chatonniste et même quelques mouettes.

Fabien Toulmé dévoile son expérience de père d’un enfant trisomique dans Ce n’est pas toi que j’attendais. Le récit est touchant sans être moralisateur. Il faut du courage pour montrer ainsi ses atermoiements face à une situation qu’on n’assume pas forcément.

La Petite Russie que décrit Francis Deharnais se situe au Canada. Cette colonie coopérative du XXe siècle mute au fur et à mesure des évolutions technologiques, sociales et politiques. Le dessin évoque celui de Guy Delisle, et l’histoire rappelle celle de La Communauté dessinée par Tanquerelle.

Dans CO2, Marine Blandin donne la parole à quelques cactus et autres plantes d’appartement. Le traitement graphique et l’aspect huis clos rappellent Bludzee de Trondheim, avec un peu moins d’envergure.

Je n’avais pas accroché plus que ça au premier tome de The Promised Neverland (Posuka Demizu et Kaiu Shirai), mais comme nous avions emprunté toute la série à la médiathèque, j’ai quand même jeté un coup d’œil à la suite. Les enfants d’un orphelinat découvrent qu’ils ne sont élevés que pour servir de mets à des démons et que l’univers qu’ils croyaient accueillant se réduit à quelques fermes dont ils sont les produits.