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Le Printemps, sa vie, son œuvre

Le printemps est une période de l’année propice aux promenades dans l’air vivifiant de la campagne qui bourgeonne, avec les oiseaux qui pépient, les fourmis qui s’affairent, et les adolescents qui découvrent les joies de la mononucléose.

Le terme est issu d’une apocope de « Prinds tes doubes et marche », en patois des mines, devenue un titre de film du sémillant Oudi Alland, et qui fait référence à cette manie des forces du pouvoir de partir en guerre dans le courant du mois de mars. En l’absence d’un ennemi humain identifiable, il est possible d’obtenir une dérogation pour sonner la charge contre un virus, la finance, ou les fonctionnaires. Mais contre la finance, non, c’était pour de rire.

Le choix de ce joli mois n’est pas tout à fait fortuit, même si certains se sont crus autorisés à déclarer la mobilisation en d’autres saisons, voire carrément en septembre, et d’ailleurs ça ne s’est pas toujours bien passé. En effet, pour les puissances du nord de la Méditerranée, l’hiver est étonnamment froid. Pensez donc, il n’y a pas trois mois, il y avait encore des feuilles sur les arbres. Comment cela se fait-il que ce matin l’autoroute soit recouverte de neige ? Ainsi pensait le poilu hagard au sortir de son cheval, dans l’aube humide des berges de la Bérézina. Que n’avions-nous pris exemple sur les Grecs, qui n’ont jamais eu l’idée saugrenue d’aller se faire laminer en Russie. Quitte à perdre, autant le faire au soleil, s’exclama un consultant devant son diaporama sur les jeux olympiques d’été.

Pourquoi n’avons-nous pas de jeux olympiques de printemps ? Je suis allé poser cette question un brin stupide au principal intéressé.

Le printemps m’a reçu dans sa charmante propriété au bord de la Loire. C’est coquet. Pas de boite aux lettres, son courrier est traité directement au siège social d’une grande entreprise. Les primevères courent sur le gazon, trop haut pour le golf, mais d’un vert tendre à le brouter séance tenante, heureusement que je sais me tenir. L’allée serpente en pente douce, caressant les troncs rugueux de gymnospermes vénérables, avant de se lover devant l’entrée. Le palpitant sous contrôle, j’active la sonnette.

Alors, une interprétation de Vivaldi ? le chant d’un rossignol ? ou carrément les cloches de Pâques ? Non, ce sont quelques notes de harpe celtique qui signalent mon arrivée. Le maitre des lieux m’accueille courtoisement, lance une giboulée dans un mouchoir et me guide vers une véranda qui donne directement sur le lit du fleuve. Je suis un peu jaloux de la vue. Deux tasses de porcelaine d’un blanc crémeux tiennent compagnie à une théière imposante, dont les fragrances m’évoquent un oolong étonnament aromatique. Il n’y a pas de chaise, je m’accoude à la balustrade et j’essaie de rompre la glace :

« Alors, est-ce qu’il vaut mieux être suivi que suivant ? »

Le printemps ne me regarde même pas. Il observe, ici une carpe, là un lapin, un bouquet de joncs qui se balancent mollement dans le zéphir en contrebas. Il commente des insignifiances ordinaires, avec une voix légère qui détonne dans cette carcasse imposante et multimillénaire. En creux, j’entends les relations conflictuelles parfois avec ses frères jumeaux. Les bougies que l’automne a voulu souffler en Australie l’année dernière, les fièvres de l’été qui se répètent, les heures d’hiver qui ne passent pas. Je buvais mon thé comme un condamné, par gouttes brulantes éperdues. Nous restâmes à converser jusqu’à ce que les lucioles se fassent remarquer. Les jambes en compote, je pris congé du vieux.

Alors les jeux olympiques, qu’est-ce que vous voulez que ça me foote.