Fermeture

Ménage de printemps

Comme chaque année, je profitais des premiers beaux jours pour sortir tapis, couettes et autres encombrants, les dépoussiérer un coup et leur faire prendre l’air. C’est peut-être psychologique mais j’ai l’impression de respirer mieux quand ces tissus qui saturent nos intérieurs ont eu l’occasion de gouter un peu d’oxygène. Et puis, c’est un peu mon rituel de fin d’hiver, une façon de célébrer le renouveau et de le faire entrer dans la maison.

J’avais donc extrait le tapis de l’antre mal éclairé où il s’ennuie le reste de l’année et il profitait maintenant de son bain de soleil annuel après avoir subi stoïquement les assauts de l’aspirateur. Je revenais dans le jardin, les bras chargés d’un édredon trempé, quand je vis une brindille au milieu du tapis. Certes une brindille dans le jardin n’a rien de bien étonnant. Mais je me demandais comment elle avait pu arriver là. Le tapis était posé en plein milieu d’un assez grand morceau de pelouse, à distance de tout autre végétal et le vent, inexistant ce jour-là, ne pouvait expliquer une telle apparition.

Je retirai donc la brindille et continuai à vaquer à mes occupations. Pendant l’heure qui suivit, aucun évènement étrange ne troubla mon rituel bien rôdé. J’avais presque oublié cette histoire de brindille, quand je vis apparaître, toujours au milieu du tapis, un amas de déchets végétaux grisâtres, quelque chose d’assez proche de la pelote de réjection des chouettes mais en totalement veggie. Cette fois, non seulement le vent ne pouvait expliquer l‘arrivée de l’objet mais il ne pouvait s’être simplement détaché d’un arbre. Aucun végétal ne produit seul ce genre d’amas. Je scrutai donc les horizons, portant mes soupçons sur le garnement du voisin que je sais porté sur la plaisanterie et apte à envoyer des projectiles très au-delà de son territoire. Mais le jardin d’à côté semblait totalement calme, les voisins n’étaient manifestement pas chez eux.

Ayant exposé au soleil toutes les fanfreluches que je lui destinais, je décidai de réparer un vieil ours en peluche qui avait souffert des assauts d’un petit cousin lors de la dernière fête familiale. Je m’armai donc de l’ours, de ma boite à couture et d’une boule de ouate destinée à le rembourrer. Je m’installai au milieu du tapis et passai l’heure suivante à découdre, remplir et recoudre le nounours. Une fois l’opération achevée, il me restait une petite quantité de ouate. Je décidai donc d’en profiter pour réparer également un porte-clés peluche écarté depuis longtemps pour cause de trou béant. Je rentrai donc dans la maison en laissant ma petite boule de ouate sur le tapis. À mon retour, elle avait disparu !

Je commençais à trouver ces disparitions et réapparitions aussi intrigantes qu’agaçantes. Je rangeai donc mon matériel de couture — condamnant mon pauvre porte-clés à de nouveaux longs mois de purgatoire — et je m’installai à l’entrée du jardin, bien décidée à éclairer ce mystère. J’avais pris soin, auparavant, de placer une nouvelle petite boule de ouate au milieu du tapis. L’étape suivante me demanda beaucoup de patience. Trois quarts d’heure dans la douceur d’un soleil printanier peuvent sembler courts à certains mais, croyez moi, je n’ai pas l’habitude de rester inoccupée aussi longtemps. Je finis cependant par découvrir l’auteur du larcin : il s’agissait d’une mésange charbonnière. Après mille précautions, vérifiant et revérifiant qu’aucun qu’importun ne risquait de lui faire obstacle, elle attrapa sans se poser au sol la petite boule de ouate et l’emporta dans un arbre creux quelques mètres plus loin. Je compris alors que mon jardin abriterait cette année une portée de mésanges. Elle aussi avait fait son ménage de printemps avant de remettre en place une literie propre pour ses futurs petits. Sans le savoir, mes propres travaux avaient aidé l’oiseau à aménager son intérieur.

Je me dis que, peut-être, l’année suivante, j’offrirais volontairement un peu de ouate à mes voisins à plumes pour leur ménage de printemps. Mais il faudrait peut-être que je vérifie si c’est très bon pour les mésanges, la ouate...