Je tombe. Je meurs. Mais ça n’a pas d’importance. Je le sais, depuis longtemps. Je vais mourir. La roche s’approche. Je la sens bondir sur moi à une vitesse fulgurante et je me jette dans son piège. Mes derniers instants arrivent. Je frôle la paroi de la falaise et…
Rien. Mon cœur bat aussi fort que le choc que j’aurais dû me prendre à l’instant. J’ouvre finalement les yeux, le pouls en furie. J’observe les alentours, voyant clairement que je suis dans… une grotte. Quelqu’un, ou quelque chose m’a poussé dans ce creux et sauvé à temps. Puis j’entends un bruit de pas léger. Je file me cacher derrière un rocher, apeuré. Je me ressaisis, me sentant un peu ridicule d’avoir eu si peur à cause du matou qui vient juste d’entrer. Mais ce chat, le même que tout à l’heure… Il n’a rien à faire ici ! Et ce n’est pas fini : je me retrouve au comble de l’étonnement lorsqu’une voix féminine m’interpelle par derrière.
— Agiles, ces minous, hein ?
Un visage se découpe devant la pierre, et je le connais bien : c’est le visage de la seule amie que j’ai eu tout au long de ma vie.
— N… Nina ?
Je regarde plus attentivement son expression et y vois un air mécontent. Finalement, elle explose.
— Mais ça va pas de sauter en parachute ! Tu veux mourir ?! Et si tu te demandes pourquoi je ne suis pas avec ta sœur, sache qu’on s’est disputées. À cause de toi !
Il est visible qu’elle cache mal sa joie de me retrouver entier en la recouvrant d’une colère feinte.
— Tu sais bien que j’ai cette maladie, Nina. Asthme de catégorie Ω. Selon la Bible des risques, je devrais déjà être mort depuis quelques jours et ça risque de ne pas tarder. Une journée de plus ou de moins à vivre, ça ne change pas grand-chose, et au moins je me sentirai plus… vivant pendant cette expérience. L’adrénaline, la peur intense… Mais tu t’es disputée avec Louison à cause de moi ?
— Oui, en partie. Mais ce n’est pas vraiment de ta faute. Disons que… bon, j’ai avoué ton secret à ta sœur.
— Là, c’est avec moi que tu vas te disputer. Continue.
— C’est dur de garder un tel secret longtemps. Elle, Louison, voulait t’emmener chez des scientifiques pour qu’ils t’auscultent mais, sachant que ça ne t’aurait pas plu qu’on te découpe le ventre, j’ai pris ta défense. Alors elle est partie.
Je me sens à la fois trahi et reconnaissant envers mon amie. Mais j’ai encore une question à poser :
— C’est toi qui m’a sauvé ?
— Guacamole, mon chat, plus précisément. Il est si agile que c’était pour lui un jeu d’enfant de te pousser dans ce creux de la falaise. D’ailleurs, il y a un tunnel sur la paroi opposée au vide et tu pourras repartir par là.
Je me retourne, prêt à m’en aller.
— Attends !
C’est Nina.
— J’ai la solution. Écris. Écris ton histoire, et d’un côté, tu seras encore vivant.
Je suis son conseil. Pendant les jours suivants, j’écris. Je meurs, évidemment, mais on lit mon histoire, on se souvient de moi, je vis une nouvelle vie.
Et comme l’a prédit mon amie, au fond, je suis toujours vivant.