Don Quichotte

Personnages

Le Départ

Don Quichotte — Eh, padre, ne pensez-vous pas que Palmérin d’Angleterre est le meilleur au monde ? ou bien est-ce Amadis de Gaule ?

Pero Perez — Oh, vous savez mon fils, moi, je n’ai jamais été très versé dans les sports de ballon.

Don Quichotte — Foutre-saint-gris, mon père, il ne s’agit point de spectacle, mais de véritables chevaliers qui sont la probité même !

Maitre Nicolas — Ne jurez pas comme ça, vous allez le tournebouler, notre curé, avec vos questions. De toute façon, il n’y en a pas qui soit de la trempe du chevalier de Phébus, voilà quelqu’un qui honore son titre bellement. À la rigueur, je donnerais l’argent à Don Galaor, le frère de votre Amadis de Gaule. Lui il savait tout faire, sans barguigner, sans chichis. Il n’allait pas brailler gna gna gna et gna gna gna... et quel courage !

Don Quichotte — Et le Cid Ruy Diaz ? C’était un bon chevalier, mais pas autant que celui de l’Ardente Épée, qui d’un revers, en fond de cour, avait fendu en deux dans le sens de la longueur une paire de géants. Et Bernard del Carpio, fils d’une union secrète, exilé en France et tueur formidable de Roland au col de Roncevaux, tandis que le compagnon de ce dernier, Olivier, avait vaincu le géant Fierabras, le père de Morgan, qui tout géant qu’il était avait de bien bonnes manières. Mais mon préféré, c’est Renaud de Montauban, un saint homme aussi formidable à la guerre qu’habile de ses mains. Il faut reconnaitre le service admirable de ces hommes, exception faite du traitre Ganelon, dont je ne voudrais même pas prononcer le nom, et que j’aurais voulu rosser à coups de pieds dans les côtes. Ah, pour cela j’aurais tout donné. (rires de la gouvernante) Tout ! Même toi, et même ta nièce si j’en avais la nécessité ! Tout... Je dois tout donner. Pour le monde et pour ma patrie, pour le bien de tous, il me faut accepter la charge, moi aussi, de devenir un chevalier errant. Seul, avec mon cheval et mon épée, vivre les aventures qui font les chansons de geste, pour un jour, peut-être, sans doute, remporter l’empire de Trébisonde. Et si je dois affronter un géant, par sentence contre mes péchés, ou pour le profit de ma gloire, et que, paf, je le tranche en deux, non, que je l’esquinte un peu, juste ce qu’il faut pour qu’il crie grâce et se rende, qu’est-ce que je vais en faire ? Il me faut une dame, belle de corps et de cœur, à qui je puisse lui envoyer le géant soumis, qu’il s’agenouille devant elle et lui dise : « Je suis le géant Caraculiambro, seigneur de l’ile Malindrania, et j’ai été vaincu par l’illustre Don Quichotte de la Mancha, qui m’a dit de me faire tout petit devant vous, est-ce que je peux servir à quelque chose ? » Ah oui, ça va le faire. (Avisant une jeune femme) C’est elle ! Aldonza Lorenzo... Elle avait fait perdre la raison l’année dernière. Ou l’année d’avant ? Et moi qui n’ai jamais osé lui parler ! Aujourd’hui j’ai toute ma tête, j’ai trouvé ma dulcinée de Toboso ! Oh, comme mon cœur bat ! Quelle heureuse circonstance ! Je peux partir désormais. Tout est parfait. (Il rabat son casque.)

L’Hôtellerie

Filles (effrayées) – Ah !

Don Quichotte — Que vos grâces ne prennent point la fuite, et ne craignent nulle discourtoise offense, car, dans l’ordre de chevalerie que je professe, il n’appartient ni ne convient d’en faire à personne, et surtout à des demoiselles d’aussi haut parage que le démontrent vos présences. (Les filles rient.) La politesse sied à la beauté, et le rire qui procède d’une cause légère est une inconvenance ; mais je ne vous dis point cela pour vous causer de la peine, ni troubler votre belle humeur, la mienne n’étant autre que de vous servir. (Elles rient de plus belle.)

Hôtelier — Ah mais qu’est-ce qui se passe ici ? Vous êtes venus pour dormir ? Je vous préviens tout de suite, il ne me reste plus un lit. Mais pour tout le reste, vous aurez tout ce qu’il vous faut.

Don Quichotte — Tout me conviendra, seigneur châtelain. Mes parures, ce sont les armes ; mon repos, c’est le combat.

Hôtelier — Eh oui, et votre oreiller, c’est un rocher. Entrez, je vous en prie, vous pourrez ne pas dormir tant qu’il vous plaira. Si vous voulez trouver à vous occuper, ça devrait pouvoir se faire aussi. (Il rentre. Don Quichotte tente de se défaire de son attirail en vain. Une des filles vient l’aider.)

Fille — Bouge pas, monsieur, tu vas te faire mal. Tiens, viens m’aider, toi, au lieu de rire. (L’autre la rejoint.)

Don Quichotte — Mesdames, c’est grand honneur d’être par vous soulagé. Veuillez excuser ma raideur. Cet habit m’est précieux pour mon statut mais il me congestionne un peu. Il me tarde de me découvrir pour pouvoir vous baiser.

Fille — Tout doux, chéri ! Si tu t’excites là-dedans, tu vas juste te blesser. (Toujours en riant, elles finissent par le débarrasser, sauf de son casque qui le gêne pour voir.) Allez, à table, maintenant. (Ils rentrent dans l’hôtellerie)

La Demande

Don Quichotte (se levant) — Holà, Monseigneur ! Je vous prie de me suivre.

Hôtelier — Qu’y a-t-il ? (Il le suit.)

Don Quichotte (ayant amené l’hôtelier au hangar à vélo, il ferme la porte et se met à genoux) — Voilà. Je me mets à genoux et jamais plus ne me relèverai avant que vous ne m’ayez octroyé, Monseigneur, ce qui par votre générosité rejaillira sur votre prestige éternel devant les hommes du monde.

Hôtelier — Ah, mais vous ne pouvez pas rester comme ça, ce n’est pas très confortable et ça va gêner le passage !

Don Quichotte — Promettez-moi d’abord que vous me ferez l’offrande que j’attends et qui m’est nécessaire pour accomplir ma destinée.

Hôtelier — Je vais voir ce que je peux faire, mais ce qui est sûr c’est que vous n’allez pas pouvoir rester là.

Don Quichotte — Je vous en conjure, accordez-moi votre libéralité !

Hôtelier — Oui, oui, je ferai tout mon possible pour que vous sortiez de cet endroit.

Don Quichotte — Merci mon bon seigneur ! Grâces vous soient rendues sur cette terre et au-delà ! Ce don inestimable dont vous allez m’honorer, c’est que demain, vous fassiez de moi un chevalier et me confiiez la mission de défendre la veuve et l’orphelin, combattre les monstres et les géants...

Hôtelier — Les géants ?

Don Quichotte — Car tel est le devoir des chevaliers errants, non en quête de gloire mais de justice, par monts et par vaux, aux quatre coins du monde.

Hôtelier — Ah oui, moi aussi j’ai voyagé dans ma jeunesse. Je suis allé à Malaga une fois, et puis Grenade ! Grenade c’est très joli. Je me souviens aussi d’un petit bistrot à Tolède, qui servait un vin fameux. Il m’est arrivé quelques aventures, surtout avec des veuves, c’est plus sûr, et puis quelques histoires de commerce qui m’ont fait connaitre auprès de la justice dans bien des villes d’Espagne. Alors j’ai fini par me retirer ici, dans ce... château, et tous les chevaliers errants qui passent, hop, je les adoube, pourvu qu’ils partagent avec moi une certaine conception de la vie et leurs économies.

Don Quichotte — Vous m’honorez, Monseigneur. Mais avant que vous ne m’éleviez dans cette condition tant illustre, je passerai la nuit en prière dans la chapelle de votre château

Hôtelier — Ah, la chapelle. Voyons, eh bien en fait elle a été démontée. Pour en mettre une neuve. Mieux. Mais je sais que dans ces circonstances, un futur chevalier peut faire sa veillée d’armes n’importe où dans le château. Mais pas ici. Je vais vous trouver un lieu plus propice.

(Nuit de veillée, Don Quichotte se fait chahuter par le voisinage, mais il réagit tellement violemment qu’on finit par le laisser, et l’hôtelier s’empresse de l’adouber pour s’en débarrasser. Don Quichotte part, il croit sauver un malheureux fouetté par son maitre pour avoir laissé échapper des moutons. Il chercher querelle ensuite à des marchands mais est roué de coups et ne parvient pas à se relever. Un voisin le ramène chez lui. Le barbier et le curé vident la bibliothèque de Don Quichotte en commentant les livres au passage avant de les envoyer au feu)

Rencontre de Sancho Panza

Sancho Panza — Bonjour Monsieur. Tout va bien comme vous voulez ?

Don Quichotte — C’est le ciel qui t’envoie, brave homme. J’ai justement besoin d’un écuyer.

Sancho Panza — Un écuyer ?

Don Quichotte — Il ne t’a sans doute pas échappé que je suis un chevalier errant, et pour accomplir ma mission il est nécessaire qu’un écuyer m’assiste dans mes aventures. Nous vivrons tant d’aventures qu’il n’y aura assez de nuits dans ta vie pour toutes les conter à tes enfants et les enfants de tes enfants. Tu auras la garde de mes armes, lorsque vainqueur d’un géant mais fourbu du fracas de l’affrontement, j’aspirerai à un modeste repos, avant de remonter sur mon fier destrier.

Sancho Panza — C’est ça votre monture ?

Don Quichotte — Ma monture ? C’est Rossinante, plus impressionnante que Bucéphale d’Alexandre et le Babiéca du Cid. Tu en prendras soin aussi, car il ne serait pas digne que je doive me déplacer à pied.

Sancho Panza — Mais je ne peux pas laisser ma femme comme ça. Elle va s’inquiéter.

Don Quichotte — Ha ! Je t’aurai tôt fait gouverneur de quelque province, et tu n’auras plus qu’à couler des jours heureux en ton palais, avec une descendance qui se réclamera de ton lignage.

Sancho Panza — Mais si je deviens roi, Mari-Guttierez, ma femme, elle va devenir reine ? Ça lui ira pas du tout, ça. Déjà comtesse ça tiendrait du miracle.

Don Quichotte — Il est juste que l’écuyer d’un chevalier errant soit rétribué à la hauteur de son engagement au service du bien. Nous partons demain. Tiens-toi prêt. Et n’oublie pas d’emmener une besace.

Sancho Panza — Ah. D’accord. Mais si vous avez votre cheval, je peux prendre un âne avec moi ? Parce que voyez-vous, je ne suis pas très doué pour la marche à pied.

Don Quichotte — Un âne ?

Sancho Panza — Ben oui un âne. C’est une bonne bête d’ailleurs, il n’est pas rapide, mais il est obéissant. Et puis, il accepte de me porter, ce qui est déjà pas mal.

Don Quichotte — Mais... je ne me souviens pas si un chevalier errant s’est déjà fait accompagner par un écuyer sur un âne. Toutefois, je ne crois pas que ce soit interdit non plus. Bah, au premier fâcheux monté qui se présente, j’enlèverai tu pourras récupérer son cheval, cela ne devrait pas trop tarder.

Les Moulins

Don Quichotte — Holà, qu’est-ce que cela ?

Sancho Panza — Quoi donc ?

Don Quichotte — Là, au loin, qui agitent leurs bras, ne serait-ce pas des géants ?

Sancho Panza — Des géants, vous dites ? Je n’en vois pas. C’est peut-être les moulins que vous voyez bouger. Il y a les ailes qui tournent.

Don Quichotte — Ne te laisse pas impressionner par leur stature. Prie pour ma victoire, car je vais les affronter séance tenante. (Il part à toute vitesse.)

Sancho Panza (criant) – C’est des moulins. C’est tous des moulins ! (Il part en trottant sur son âne, puis revient en aidant Don Quichotte à marcher). Je vous l’avais bien dit.

Don Quichotte — C’est l’enchanteur Freston qui a changé les géants en moulin au moment où j’allais les occire. Sa haine contre moi le pousse à me tourmenter sans cesse, mais mon épée le décevra dans ses œuvres.