Revue culturelle de

Suite à une question de Benoît cet été, je cherche des œuvres littéraires dans lesquelles on peut trouver la réutilisation d’un personnage secondaire d’un autre auteur. Je ne compte pas les pastiches, les parodies, les séries dérivées ni les exploitations d’univers de légende, qu’il s’agisse des diverses mythologies (et pourtant, que j’aimerais citer Circé de Madeline Miller, et la saga Percy Jackson de Rick Riordan !), du folklore des contes, ou encore de la science-fiction et fantasy contemporaines, qui avec Star Wars, Les Robots, Dune et Harry Potter ont fourni un énorme corpus de textes allant de la fan-fiction au romans approuvés par l’auteur. Citons donc d’abord L’Affaire Jane Eyre de Jasper Fforde, qui fait rentrer la détective Thursday Next dans le roman de Charlotte Brontë et en modifie la trame, Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary de Philippe Doumenc, où deux policiers renversent les conclusions du roman de Flaubert, Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud, qui donne le point de vue du frère de l’Arabe tué dans L’Étranger de Camus, ou encore Appelez-moi Malaussène de Jerome Charyn, dont le personnage Isaac Sidel se présente comme le père du Petit dans la tribu imaginée par Pennac.

Spectacles

Quelle gifle nous portent Jean-Baptiste André et Dimitri Jourde dans Deal au Point d’eau ! La chorégraphie de l’évitement, du jeu et de l’affrontement est construite autour de la pièce de Koltès Dans la solitude des champs de coton, avec un appui à l’adaptation du texte par Fabrice Melquiot. J’ai été séduit par la performance des danseurs, qui mélangent échanges verbaux, sauts, contorsions et portés, à la frontière avec le théâtre et le cirque.

J’ai beaucoup aimé également la mise en scène d’Anne Theron sur Iphigénie, avec un texte de Tiago Rodrigues au TNS. Avec un leitmotiv du souvenir, de la tragédie déjà écrite et pourtant vécue, refusée et tenue, les personnages composent leur chemin qui interroge la liberté, la soumission, la fidélité, dans un décor qui se fragmente progressivement. L’esthétique très contrastée en noir sous des lumières crues renforce le côté hiératique de l’ambiance mais ne sacrifie rien à l’intelligibilité ni à la sensibilité, même quand les deux faux promis basculent en portugais pour dire un amour impossible. On est happé par la justesse et la clarté du jeu.

La Cité de la Musique et de la Danse présentait Le Joueur de flûte de la chorégraphe Béatrice Massin, d’après la légende du joueur de flûte de Hamelin popularisée par les frères Grimm, sur des musiques de Jean-Sébastien Bach, Toru Takamitsu et John Zorn. Les premiers tableaux étaient très propres mais pas forcément très faciles à interpréter, et le dédoublement du rôle du joueur de flûte ne facilitait le repérage, mais l’entrée des rats était saisissante. Un bon quart de la pièce était dévolu à la pétillante figuration des enfants qui jouaient avec le décor en trompe l’œil sur un thème de Bach revisité dans de nombreux styles, du reggae au jazz en passant par le bel canto et les synthétiseurs des années 90. On s’est régalé.

J’ai toujours un a priori méfiant sur les mises en scène contemporaines des textes classiques, mais Alain Batis est parvenu à donner une version plutôt agréable de L’École des maris de Molière au TAPS Scala. Deux vieux barbons y adoptent des attitudes opposées sur la conduite de leur pupille, et celui qui s’acharne à contraindre la sienne va la perdre bien plus sûrement que l’autre. Les comédiens nous emmènent avec un jeu assez inventif mais qui manque parfois de rythme, et la diction des vers est un peu inégale. J’ai bien apprécié les mises en musique, qui auraient pu prendre encore plus d’ampleur car elles servaient efficacement la lecture du texte.

Film

Je suis toujours ému par la puissance évocatrice de Big Fish (Tim Burton). Un homme passe sa vie à raconter une jeunesse faites d’aventures abracadabrantes, en particulier à l’adresse de son fils qui n’y croit plus depuis longtemps. Mais la vérité est trop imprégnée de la fantaisie du père pour pouvoir en être complètement expurgée.

Littérature

Romans

Persécution est le troisième tome des aventures d’Alex Verus (Benedict Jacka). Ce mage de l’ombre, devin donc mal vu par le reste de son ordre, accompagne son apprentie Luna sur un tournoi. Mais qui peut avoir intérêt à éliminer de jeunes recrues ? Cette série reste agréable à lire et s’attarde régulièrement sur la géographie de Londres, ce qui ajoute au plaisir de la lecture.

La Grèce est le premier pays à avoir été acheté par une multinationale dans Chien 51 de Laurent Gaudé. Ce roman policier d’anticipation met en scène deux agents de zones différentes verrouillés ensemble pour enquêter sur un meurtre sur fond de trafic d’organes et d’élections politiques tendues dans une enclave où toute la population a été arrachée à son pays d’origine. J’aime la langue de l’auteur quand elle se déploie comme dans la longue tirade de Sparak face à l’assassin. Mais les jeux de pouvoirs sont ici presque trop faciles, le gouffre entre les zones aurait pu être plus profond.

Bande dessinée et récits graphiques

Catherine Meurisse illustre Drôles de femmes, une série d’entretiens de Julie Birmant avec des femmes dont l’écriture, les dessins ou les spectacles sont empreints d’humour. Voilà une œuvre féministe qui dépasse les enjeux didactiques pour nous dresser des portraits touchants, poignants, édifiants. J’ai découvert à cette occasion l’histoire de Tsilla Chelton, dont je ne connaissais que la participation à Tatie Danielle.

La cyclothymie est intelligemment expliquée dans Goupil ou face de Lou Lubie. Ce trouble de l’humeur qui relève de la bipolarité est incarné ici par un petit renard dont les injonctions peuvent affecter plus ou moins fortement le quotidien. Les affres des contradictions entre divers psys ne doivent pas décourager ceux et celles qui ne savent plus comment gérer leurs difficultés. Je leur souhaite de trouver les interlocuteurs qui leur permettront de trouver un meilleur modus vivendi.

Un chat, un renard et un sanglier sont les personnages principaux de Les Animals [sic] de Christoff Baron. Sept nains de jardin et quelques extraterrestres croisent leur route dans ce monde désespérement humain. C’est gentiment absurde et plutôt drôle.

Deux Français parcourent le Japon à la recherche de yokaï, des esprits qu’ils essaient de photographier à l’aide d’un appareil spécial et d’une méthode de développement de pellicule photographique artisanale dans Onibi, carnets du Japon inivisible. L’incrustation des tirages oniriques au fil des chapitres fait osciller le récit entre réel et imaginaire. Les fréquentes évocations de la nourriture et de l’accueil bienveillant donnent envie d’aller voir ces plus ou moins gentils fantômes.

J’avais déjà été attiré par les à-plats denses d’Appolo sur la couverture de Biotope. Le scénario n’est pas très original, avec une enquête policière sur une base scientifique d’une planète exotique, mais les personnages sont marquants et on aimerait en savoir plus sur les tenants et les aboutissants du meurtre. Las, la série semble s’être arrêtée dès la fin du deuxième tome sans qu’on en sache tellement plus.

Jeu

Dans Isle of Skye, chaque joueur constitue un paysage écossais à l’aide de tuiles carrées, lesquelles lui rapportent des points en fonction de divers bonus, et notamment des distilleries de whisky. Au début de chaque tour, les joueurs vont mettre en vente leurs cartes en main et payer pour celles qui n’ont pas trouvé d’autre acheteur. Ce mécanisme pousse à bien choisir ses prix, et les prix montent vite. Globalement, c’est un petit jeu plaisant.