Revue culturelle de

Qu’est-ce qui me fait rire ? En regardant les vœux de Waly Dia sur Médiapart, je me repose la question qui préside à l’émission C’est encore nous, ex-Par Jupiter de Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, dont l’humour nous a aidé à tenir pendant les périodes de confinement de ces dernières années, mais quid hors de leur fine équipe ? Il me faut assumer que je ne suis pas un spectateur assidu des humoristes en dehors de la fenêtre radiophonique. Du coup, mes autres références datent un peu, mais je cite volontiers Pierre Desproges et ses réquisitoires, Raymond Devos et sa poésie de l’imaginaire, Les Inconnus qui transgressaient le petit écran, Courtemanche et ses mimiques. Dans la chanson française, je mettrais en avant les Goguettes, Chansons plus bifluorées et Frédéric Fromet.

Je ne peux lister tous les films qui m’ont fait rire, mais entre autres il y a La Vie de Brian des Monty Python, Mission Cléopâtre d’Alain Chabat, Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury avec Louis de Funès, La Chèvre de Francis Veber avec Pierre Richard, Chat noir, chat blanc d’Emir Kusturica, Zelig de Woody Allen, Le Graphique de Boscop de Sotha et Georges Dumoulin, Monstres et Compagnie des studios Pixar, Wallace et Gromit, le mystère du lapin garou de Nick Park… À la télévision, en dehors des regrettés Guignols de l’info, il me faut mentionner l’excellente série geek The Big Bang Theory et la série d’animation Minuscule avec ses petites bêtes déjantées.

En bande dessinée, j’ai pleuré de rire très jeune sur la Rubrique-à-brac de Gotlib, avec le professeur Burp, Isaac Newton et la fameuse coccinelle, Gaston Lagaffe, le héros sans emploi de Franquin et Garfield le chat insatiable, paresseux et déterminé dessiné par Jim Davis. J’ai découvert plus tard Le Chat philosophe et mathématicien (si !) de Philippe Geluck, et Le Génie des alpages de F’Murr, un chien de berger en charge d’un troupeau de brebis qui broutent l’absurde plus sûrement que les herbes rebelles. Plus récemment, outre les Vieux Fourneaux décrits plus bas, je me suis entiché du Retour à la terre de Jean-Yves Ferri et Manu Larcenet, récit d’un citadin en exil volontaire en milieu rural, Pico Bogue (Dominique Roques et Alexis Dormal) et ses conversations d’enfants qui rappellent un peu Mafalda mais avec des préoccupations plus tournées vers la linguistique, Le Grand Méchant Renard de Benjamin Renner, martyrisé par les poules et un loup pernicieux, Une année au lycée de Fabrice Erre sur le quotidien des profs et élèves, les carnets de Notes de Boulet, à la fois drôles et graphiquement éclectiques, Traquemage de Lupano, Relom et Degreff, un berger tueur de mages, L’Atelier Mastodonte constitué par collectif de dessinateurs qui racontent leur quotidien commun en une sorte de cadavre exquis dessiné. Je voudrais encore citer la trilogie en cinq volumes [sic] de science fiction du Guide du voyageur galactique de Douglas Adams, puis en théâtre l’extraordinaire Arcadia de Tom Stoppard, qui croque le milieu universitaire et la campagne anglaise du XIXe siècle, ou Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes.

Sur scène, Le Père Noël est une ordure de la troupe du Splendid a posé un standard, mais celle de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff est formidable également (par exemple dans leur version des Précieuses ridicules dont j’ai désespérément cherché une captation).

Parmi les dessinateurs de presse, j’ai souvent ri avec Mix et Remix, Charb, Voutch, Dubuisson, mais on peut lire aussi le site d’actualités parodiques du Gorafi et le blog xkcd de Randall Munroe, également auteur du site de questions scientifiques saugrenues What if?.

Puisse l’année 2023 vous dégripper les zygomatiques !

Exposition

C’est une double exposition que proposent conjointement le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg et le musée Tomi Ungerer sous le titre Surréalice, explorant l’inspiration des romans de Lewis Carrol dans l’essor du surréalisme. Le MAMCS nous fait entrer dans la gueule d’un immense Chat du Cheschire avec une belle collection d’œuvres bien documentées et un espace ludique très sympathique. À Tomi, Illustr’Alice est consacrée plus spécifiquement aux représentations des personnages d’Alice aux Pays des Merveilles, notamment dans le contexte de la caricature politique, mais je regrette un accompagnement trop succinct pour la mise en contexte.

Spectacles

L’Opéra national du Rhin programmait La Flûte enchantée de Mozart sous la direction d’Andreas Spering. La mise en scène très efficace de Johanny Bert permet d’oublier la version que Castellucci avait montée en 2019. J’ai particulièrement apprécié le jeu plein d’humour de Michael Borth (Papageno) et les voix d’Hélène Carpentier (Pamina) et Nicolai Elsberg (Sarastro). Ce dernier doublait d’ailleurs une marionnette imposante de vieillard en fauteuil roulant qui renforçait l’ambiguïté du personnage.

J’ai vraiment beaucoup aimé Man’s Madness, chorégraphié par Marino Vanna. Quatre danseurs en marche très lente vont changer d’état pour figurer sucessivement des rythmes telluriques, une circulation liquide et joyeuse, un crépitement spasmodique, un souffle léger mais dynamique, une incarnation du geste. La musique d’Alexandre Dai Castaing accompagne très finement cette lecture des éléments.

Également à Pôle-sud, Queen Blood du chorégraphe Ousmane Sy prodiguait une énergie renversante avec ses six danseuses, virevoltant déjà pendant l’entrée du public dans la salle. C’est du hip-hop réjouissant qui m’évoque un peu la tarentelle.

Les Blonds sont trois frère et sœurs d’origine scandinave qui triturent la chanson française avec un humour plutôt adulte mais une palette vocale impressionnante. Dans Mariåj en Chønsons au Point d’eau de Grossevalve, ils jouent les convives d’un mariage tout en allusions et allocutions, mixant Lio et Léo Ferré, Carla Bruni et Stromae, Daft Punk et les Gipsy King…

J’attendais peut-être un peu trop de Los años au Théâtre du Maillon. Un même appartement dédoublé sur scène avec trente ans d’écart entre les deux devait permettre de représenter l’évolution des aspirations des protagonistes, leur rapport aux objets et entre eux, voire les changements du monde autour. Mais le récit patine sur la réalisation d’un film autour d’un enfant isolé. Entre le jeu scénique et le sujet de société, la pièce ne parvient pas à faire le grand écart. Reste un peu d’humour et de musique avec des comédiens plutôt convaincants.

Ce samedi il pleuvait promettait une révolte de deux adolescents québecois dans leur cadre familial. Les relations malsaines des personnages m’ont laissé en dehors de l’histoire, avec une scénographie filasse et malgré les deux musiciens sur scène qui accompagnaient le spectacle d’un bruit de fond pas plus enjoué que le reste. L’écriture était pourtant intéressante, mais difficile à rendre sans travailler davantage la respiration du texte.

Vidéo

Nous avons bien apprécié la série His Dark Materials (À la croisée des mondes), nouvelle adaptation de la trilogie de Philip Pullmann, visuellement moins clinquante que le film de Chris Weitz, mais qui prend le temps de développer les péripéties de l’intrigue et surtout qui ne s’est pas arrêtée au premier tome. L’animation et le rendu photographique des dæmons et panserbjørnes sont remarquables. Je vais réserver la suite.

Littérature

Romans

Après avoir applaudi à la très belle adaptation en seul en scène du TNS le mois dernier, je me suis replongé dans 7 de Tristan Garcia. Oui, les premières parties semblent un peu décousues avec une impalpable trame commune, mais c’est bien le principe qui se révèle dans la septième. J’admets avoir baissé les bras un peu trop vite la première fois, et je recommande la lecture de ce(s) roman(s) — le pluriel est sur la couverture. Un homme grandit dans la promesse de renaitre à son premier jour chaque fois qu’il meurt, en un éternel recommencement jamais identique. Les personnes qui ont marqué l’histoire étaient-elles toutes dans une telle situation ? Quel est le mystère de ce pouvoir ? Et pourquoi lui ?

Dans Changer l’eau des fleurs, Valérie Perrin raconte l’histoire d’une femme devenue gardienne de cimetière, son parcours et l’enquête sur les blessures toujours vives de son passé comme une promenades parmi les tombes, faisant rimer douceur et douleur. L’attente est un peu longue, mais c’est le style du livre.

J’ai voulu essayer un autre roman de Wilson avec Bios. Ce scénario catastrophe sur une planète tueuse n’aboutit pas à grand chose.

Bande dessinée et récits graphiques

J’ai reçu en cadeau les premiers tomes de Magasin général, l’excellente série de Jean-Louis Tripp et Régis Loisel. On y suit la reprise en main de ce magasin par Marie suite au décès de son mari, dans un village isolé du Québec début du siècle. Le travail sur la langue, avec le vocabulaire et les tournures du pays, est irrésistible, tout en restant parfaitement intelligible pour les francophones du vieux continent.

Toujours aussi décapants, les vieux fourneaux de Wilfrid Lupano sortent un septième tome intitulé Chauds comme le climat, où il sera question d’un incendie volontaire. C’est moins le climat de la Terre qui est en cause que celui d’une amitié entre potes qui bat de l’aile. Et quelle histoire est enterrée avec Geneviève Larquebuse ?

Aya de Yopougon (Abouet et Oubrerie) est de retour après plusieurs années de césure, mais on la retrouve comme si c’était hier. Là encore j’adore la langue variée et les problématiques en Côte d’Ivoire et en France traitées sans fard ni amertume. Vivement la suite !

Je remercie Victor qui m’a fait découvrir Le Château des animaux de Delep et Dorison, inspirée par la Ferme des animaux d’Orwell. Le troisième tome La Nuit des justes voit l’opposition à Silvio braver les menaces des chiens et mettre en péril le ravitaillement du donjon.

Il me vient l’eau à la bouche en lisant L’Art du sushi, documentaire de Franckie Alarcon sur la gastronomie japonaise, avec la cuisine des sushis certes, mais aussi la culture du riz, la fabrication du saké, la pêche et les marchés aux poissons. Le dessin est très sobre, réservant la couleur aux éléments culinaires.

Plus de 25 ans après sa sortie en roman Le Monde de Sophie est adapté en bande dessinée avec Nicoby et Vincent Zabus. C’est certainement une entrée en matière plus facile et surtout actualisée de cette histoire de la philosophie racontée comme un jeu de piste, mais j’ai trouvé l’interaction un peu légère entre l’héroïne et ses mentors antiques. Même le dessin tombe un peu dans la facilité avec les textes qui remplissent les cases. Pourtant j’avais bien apprécié ce trait épuré dans L’Enquête gauloise de l’Histoire dessinée de la France.

Jeunesse

Eh bien oui, à l’occasion des fêtes de fin d’année, je me suis replongé dans certains titres et j’en ai découvert d’autres qui s’adressent aux plus petits mais qu’on a plaisir à partager.

Lire, c’est déjà parcourir un livre même s’il n’y a pas de texte. Dans le genre, je recommande vivement toute la série de bandes dessinées muettes Petit Poilu de Céline Fraipont et Pierre Bailly. Avec un trait net, joyeux et coloré, ses personnages attachants aux prises avec des questions qui comptent pour tous, les enfants vont très vite apprendre à raconter, décrire et bruiter ces aventures. Dans le Blues du Yéti, Petit Poilu aide ce dernier à prendre les choses avec un peu plus de délicatesse, pour finir en concert avec un trio de marmottes.

Chouette ou hibou est un album documentaire d’Emma Strack très facile d’accès et permettant une lecture à plusieurs niveaux, pour distinguer des termes qui sont proches par le sens. Les illustrations sont claires et détaillées en reprenant le style des infographies.

Cette Red Lili (Olivier Dupin) est un avatar du Chaperon rouge en plein far west, avec quelques mots de vocabulaire anglais pour colorer le tout, des dessins plaisants et un rythme efficace.

C’est pas grave, c’est la réponse de Grand Lapin pour réconforter Petit Lapin qui a renversé son lait. Mais si rien n’est grave, les catastrophes s’enchainent, alors cet album de Michel Van Zeveren permet d’aborder très simplement les questions d’importance, de faute et de conséquences.

Jeu

Pour inaugurer un nouveau calendrier, nous avons ressorti le jeu de plateau Tzolk’in, de Simone Luciani et Daniele Tascini. De nombreuses possibilités pour placer les ouvriers mayas mènent à des stratégies très diverses pour récolter des points, en construisant des bâtiments, en montant dans les temples ou en déposant des crânes de cristal sur la grande roue de Chichen Itza. Le magnifique plateau en engrenages et sa grande variabilité stratégique en font un très bon jeu expert. Il faut prévoir une demi-heure par joueur (entre 2 et 4).